LES CRÉDITS Á LA CONSOMMATION

SURENDETTEMENT, CREDITS A LA CONSOMMATION, SACRIFICES DES CONGES ANNUELS POUR REPONDRE DIGNEMENT AUX DEPENSES FESTIVES ET SCOLAIRES

Source: : Lobservateur | Le 20 juillet, 2012

L’approche du Ramadan, des fêtes religieuses et la préparation de la rentrée scolaire prochaine constituent un véritable casse-tête pour les pères de famille sénégalais dont les bourses seront soumises à rude épreuve. Enquête !

La tête dans les nuages, les yeux fixés, par moments, sur les étagères des rayons d’un grand supermarché, Kader Ndiaye consulte minutieusement une gamme de pâtes, un nœud dans la gorge. «C’est fou comme les prix grimpent au fil des mois. Et j’imagine que d’ici le Ramadan, ils vont tripler. Pauvre de nous autres, pères de famille ! Surtout pour ceux qui ont un revenu moyen», bougonne-t-il, réfléchissant presque à voix haute. La quarantaine révolue, cet ingénieur en bâtiment dans une entreprise de la place appréhende déjà les débours du mois béni de Ramadan et des autres fêtes qui s’ensuivront. «Je ne veux même pas encore penser au Ramadan et autres festivités qui vont s’échelonner d’ici à la fin de l’année. Le Ramadan est prévu pour le 19 ou le 20 de ce mois et je crains déjà le pire pour mon portefeuille. En général, les gens pensent que le Ramadan permet aux chefs de famille de souffler, mais cela cause une sérieuse cure d’amaigrissement au portefeuille. Ces fêtes sont de véritables goulot d’étranglement», grogne-t-il, suant comme un forcené en poussant vers la caisse son caddie chargé à ras bord.

«Je suis obligé de sacrifier mes congés»
Avec l’approche du mois sacré de Ramadan et autres festivités marquant sa fin fêtée au Sénégal comme le jour de la Korité, la psychose des grosses dépenses est perceptible chez les pères de famille. L’économiste Moubarack Lô explique : «Il y a un surplus de la consommation durant les périodes de fêtes, mais il y a des périodes de boom et des périodes de ralentissement. Les périodes de boom, ce sont les fêtes, parce que personne ne veut être en reste. De la rentrée scolaire au mariage, en passant par les fêtes. Donc, nous avons des piques dans les dépenses des ménages pour ces événements-là. Je ne connais pas d’études sur l’impact du Ramadan, de la Korité ou de la Tabaski sur la consommation. Durant les périodes dites normales, les ménages ont une consommation mesurée et parfois même une consommation ralentie car, ils sont obligés de se serrer la ceinture. C’est ce qu’on appelle les périodes d’épargne forcée ou choisie qui peuvent permettre aux ménages de pouvoir consommer plus qu’il n’est admis durant les périodes de fêtes. Dans l’année, ils arrivent à équilibrer leurs budgets par rapport à leur consommation, en faisant des épargnes dans les périodes normales et en dépensant plus dans les périodes de fête.» Amadou Mbaye, polygame (il est marié à 3 épouses) et chef d’une smala, fait partie de ce lot. Même s’il ne cache pas sa phobie pour le gaspillage outrancier lors des festivités à la sénégalaise. Pour ce commerçant grossiste, les fêtes sénégalaises constituent un véritable casse-tête. «Rien que pour le Ramadan, je dépense des sommes colossales entre mes 3 épouses. Chacune veut faire plus que l’autre pour marquer des points auprès de la belle-famille. Surtout en ce qui concerne les «sukeurou Koor», les «rérou djeukké» (dîner préparé par la bru et offert à la belle-famille) et autres. Il est de même pour la Korité et la Tabaski, je dépense, mine de rien, la bagatelle d’un million entre les moutons, les habits pour mes 3 épouses et ma progéniture», révèle-t-il, défripant sans cesse son grand-boubou basin beige. Mais pour cet illettré qui s’est abreuvé à la source du Coran, les fêtes religieuses chrétiennes (24 et 31 décembre) ne comptent pas dans son budget. Amadou est réfractaire à toute «colonisation», terme qu’il utilise, pour désigner ses compatriotes qui se laissent emporter par la frénésie des fêtes de fin d’année. Rien que les vocables, Noël et Saint-Sylvestre, lui file des allergies. «Ce sont les acculturés qui s’attardent sur ces fêtes. Comment tu peux t’appeler Demba, Mohamadou ou encore Ramatoulaye et dire que tu célèbres la fête de Noël ou de la Saint-Sylvestre ? Ce sont des futilités que je n’arrive pas à m’expliquer. Les Sénégalais ont une culture de la fête et des frivolités qui me sidère. Pour la Korité et la Tabaski qui sont des fêtes religieuses musulmanes, je peux comprendre, mais voir un Musulman qui dépense des sommes énormes pour Noël ou la Saint-Sylvestre me semble tout à fait inexpliqué», s’offusque le quinquagénaire à la barbe poivre-sel faisant mine de retourner à son commerce. Aux antipodes de son compatriote commerçant, Boubacar Sèye, fonctionnaire dans une entreprise d’assurances, lui, met un point d’honneur à célébrer toutes les fêtes de l’année. Toutes sans exception ! A un tel point qu’il peine à se souvenir de la date de ses derniers congés. A 35 ans, ce jeune marié, père de deux mignons garçons de 4 et 2 ans, considère que célébrer les fêtes de l’année est une obligation dans sa famille. «J’ai été éduqué avec cette culture. A la maison, papa et maman nous avaient habitués à sacrifier à ce rituel. Je ne fais que calquer cette éducation sur celle de mes enfants. Ma femme et moi essayons de les respecter le maximum possible. Et après les charges des fêtes, viennent celles des études. Je suis obligé de sacrifier mes congés et de me les faire payer pour faire face aux dépenses des fêtes. Des vacances, on aura toujours le temps de les prendre et avec la retraite, je me reposerai bien assez. C’est une immense joie de rendre ma famille heureuse durant les fêtes», confesse-t-il dans un grand éclat de rire. Pour Boubacar, le bonheur de sa femme et de ses deux chérubins vaut tous les sacrifices.


Le crédit à la consommation comme palliatif
Une brèche dans laquelle s’engouffre Nafissatou Bop, 38 ans, cadre dans une entreprise de communication, pour dérouler sa «stratégie-fête» afin de combler sa progéniture. Maman de 3 enfants, dont deux jumelles, la jeune dame, teint clair, cheveux défrisés lâchés au vent, prend sa pause, attablée devant un délicieux plat de Yassa au poulet. Sourire XXL, elle consent volontiers à lâcher quelques-unes de ses astuces pour pallier les dépenses des fêtes religieuses et de fin d’année. «Comme toute Musulmane, je célèbre dignement les fêtes religieuses musulmanes. Mais, et surtout pour mes enfants, je fête tout autant les fêtes religieuses chrétiennes. J’achète des sapins, des guirlandes et autres cadeaux de Noël pour ma famille. Et quand la rentrée scolaire s’en mêle avec les frais et fournitures scolaires, je n’y réfléchis même pas à deux fois. Je prends un crédit à la consommation à la banque à court terme pour pouvoir sortir la tête de l’eau. Sinon, c’est la catastrophe», confie-t-elle entre deux bouchée de riz, élégamment moulée dans un ensemble tailleur anthracite. «Il est vrai qu’entre les fêtes religieuses, aussi bien chrétiennes que musulmanes, les frais scolaires qui s’en viennent prochainement, on perd facilement la tête», commente Dieynaba Mboup, enseignante dans l’élémentaire. Accrochée à la sortie d’un magasin, un gros paquet de dattes fourré dans un sachet en plastique, la quinquagénaire a déjà commencé son approvisionnement pour le mois de Ramadan. Foulard strict noué sur la tête, binocles d’un autre temps vissés sur un nez épaté, visage grassouillet, Dieynaba ne se casse pas la tête en conjoncture pour trouver une solution aux multiples débours qui ne manqueront pas de mettre à genou sa budgétisation annuelle. D’ailleurs, elle n’intègre plus ses dépenses festives, comme elle aime les appeler dans la bascule de ses finances. «Depuis que les banques proposent des crédits à la consommation à leur client, je ne cherche plus midi à 14 heures. Pour tout ce qui est dépenses de fêtes, je prends un crédit que je paie dans l’année, mais, je fais mon maximum pour ne pas verser dans le surendettement. Sinon, je risque de passer sous le rouleau compresseur d’une spirale de dettes sans fin et de ne jamais voir le bout du tunnel», conclut-elle dans un rire grave.

En 2005, les Sénégalais dépensaient 478 317 millions pour les fêtes et cérémonies religieuses
Selon la dernière étude de la Dps (Direction de la prévision et des statistiques) réalisée en 2005, les dépenses de consommation des ménages sénégalais ont été estimées, pour l’année 2001/2002 à près de 2011 milliards de FCfa. Un peu plus de la moitié des dépenses est consacrée à la fonction «Produit alimentaire (boisson et tabac)», 52,9%. Suivent, dans l’ordre d’importance, les dépenses consacrées au logement (17,9%), à l’habillement (6,2%), au transport (5,8% et à l’ameublement (5,2%). Les dépenses liées à la santé et à l’éducation restent encore faibles (1,9% et 1,6%). Tandis que pour les cérémonies, les fêtes religieuses et l’enseignement, en milieu urbain, les dépenses se chiffrent à 478 317 millions FCfa.

«Il faut élever le taux des crédits à 15 % pour que cela devienne rentable pour la banque»
«Les prêts de consommation restent une catastrophe pour les ménages sénégalais», s’insurge Meïssa Babou, enseignant chercheur à la Faculté des sciences économique et de gestion (Faseg) de l’université de Dakar, en réponse aux offres de crédit de plus en plus agressives des banques. Panneaux publicitaires, télés, flyers etc. Les institutions bancaires incitent de plus en plus le consommateur sénégalais à s’endetter pour payer ses prothèses dentaires, s’acheter la voiture convoitée ou – pour rester dans l’air du temps – préparer la fête de la Korité en approche. Une aubaine sur laquelle se jettent de plus en plus de ménages et qui, selon le professeur, cache un revers de médaille dangereux, en l’occurrence, le surendettement qui, grâce à un fort taux, profite aux banques. Une opinion battue en brèche par les institutions financières, qui parlent même de pertes. Chargé de clientèle dans une banque de la place, Adrien revient sur cet a priori. «Les banques appliquent en général un taux de 12 %, suffisant pour que les Sénégalais se sentent lésés, mais en réalité, il faut élever ce taux à 15 % pour que cela devienne vraiment rentable pour la banque», explique-t-il. La faute au faible taux de bancarisation (faible nombre de clients inscrits dans une banque par rapport à la population active) au Sénégal, qui culmine à 19 % contre 90 % en Europe. La plupart des ménages préférant planquer leurs économies sous le matelas au lieu de les confier à une banque. C’est, de fait, de l’argent qui échappe au circuit financier. Le faible taux de bancarisation a aussi pour conséquence de voir les nombreuses banques de la place se partager les mêmes clients. Adrien explique : «Les clients font jouer la concurrence, ce qui incite les banques à offrir de plus en plus de promotion pour les fidéliser». D’autant plus qu’il est plus rentable de prêter son argent que de le laisser dormir dans les caisses. En attendant que la campagne de bancarisation qu’ont initiée plusieurs institutions porte ses fruits, les banques préfèrent porter leur attention sur les transferts, les changes, les placements en bourse qui, selon Adrien, rapportent plus que les crédits.

 

Auteur: L'observateur - Lobservateur