AKON CITY : LES UTOPIES DÉSIRABLES

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LA CHRONIQUE HEBDO DE PAAP SEEN

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LES UTOPIES DÉSIRABLES

EXCLUSIF SENEPLUS - Il faut des hommes et des femmes d’action. Pour fouler aux pieds les structures mentales et sociales, qui méprisent l’audace et la liberté - NOTES DE TERRAIN

Paap Seen  |   Publication 30/08/2020

Samedi 29 août 2020. Je n’ai pas fêté la tamxarit, en famille, l’année dernière. Je me rappelle, j’avais terminé le travail vers 18 heures. Puis, je m'étais rendu à Liberté 6, pour prendre un taxi et partir à Rufisque. J’avais patienté près de deux heures. Mais, les chauffeurs ne voulaient pas se rendre à Rufisque. Les deux ou trois qui consentaient à faire la course me demandaient un prix exorbitant. Faisant contre mauvaise fortune bon cœur, j’ai rebroussé chemin. J’ai finalement passé la fête chez un ami. On m’a même offert un bol de cere, qui m’a servi de dîner pendant une semaine. L’essentiel était sauvé. Cette année, pour éviter toute mauvaise fortune, je suis parti plus tôt. J’étais déjà dans le taxi à 17 heures. 

Je me suis assis sur le siège passager avant. Le chauffeur de taxi ne trouvait plus son masque. Je lui en ai offert un. Il était, en apparence, très instruit et ouvert. Au regard des différents sujets de discussion soulevés, et de son niveau de raisonnement. Nous avons parlé, entre autres, de la cherté du péage et des nouveaux lampadaires, en installation sur l’autoroute et dans de nombreux quartiers de la capitale. Comment se fait-il, encore, que le marché d’éclairage public soit remporté par une entreprise française ? On a échangé sur la présence des compagnies françaises, au Sénégal. Sur le TER. Sur la souveraineté nationale. Sur la situation de l’Afrique. On a conclu que notre indépendance n'était pas encore acquise, totalement. Le trajet a été agréable. Il n’y avait aucun embouteillage sur la route.

À un moment, nous avons aperçu, sur l’autoroute, un panneau publicitaire. Qui montrait la ville futuriste que l’artiste, Akon, veut bâtir à Mbodiène. J’ai alors protesté, contre ce que j’ai appelé « une idée farfelue, peut-être même une nouvelle imposture. » Le chauffeur de taxi m’a alors exprimé son désaccord. Pour lui, il faut des initiatives comme celle-ci pour faire rêver les Africains. Je lui ai rétorqué qu’Akon était purement dans le business. Et puis, on ne va pas construire l’Afrique ou la sortir de sa situation actuelle, avec des rêveries. Le chauffeur était plus enthousiaste et manifestait son adhésion au projet. Selon lui, Akon est dans son droit. Même si c’est un rêve. 

Ce n’était pas la première fois que j’entendais un raisonnement pareil, sur le sujet. J’y ai réfléchi, dans la soirée, au repos. À vrai dire, mes réserves profondes sur ce projet sont maintenues. J’ai du mal à voir, dans ces initiatives grandiloquentes, un quelconque plan révolutionnaire. Capable de nous guérir des véritables maux qui nous accablent. L’impérialisme. L’obscurantisme. La défaillance des élites. La quasi-absence de culture savante. Et puis à qui seront destinées ces tours bizarres ? Quels rêves embrassent ce projet ? Où se trouve la mise en commun, l’égalité sociale ? Est-ce pour reproduire Las Vegas ou Manhattan, en Afrique ? Quelle part l’âme africaine occupe-t-elle dans ce chantier futuriste ? J’ai l’impression qu’Akon City n’est pas un espace d’alternatives réelles. Un lieu désirable, résolument africain. Que l’artiste, malgré toutes ses sorties, et ses incantations, concernant l'Afrique, ne saisit pas les gigantesques problèmes du continent. J’ai fait un tour sur le site internet d’Akon City. On peut y observer, très ouvertement, une impulsion néolibérale, ainsi qu’une promesse élitiste.

Toutes les idées utopiques ne se valent pas. Il y a celles qui cherchent à redonner le pouvoir aux hommes et aux femmes, par le geste démocratique, égalitaire et libertaire. Ces utopies-là veulent réinscrire l’Homme dans une société savante et humaniste. Il y en a d’autres qui promeuvent les valeurs du système dominant. Akon City sera un business, d’abord. Ce n’est pas un projet de révolution. Qui veut engager les femmes et les hommes, vers la vraie transformation mentale et sociale. Ce n’est pas, non plus, une alternative enracinée dans les communs. Qui, symboliquement, propose un véritable projet africain en rupture avec le système dominant. Aussi, cette initiative, à mon sens, pose la question de l’intentionnalité de la diaspora africaine. Que cherche-t-elle à faire ou à se prouver ? Pourquoi se pense-t-elle, souvent, prophète en Afrique ? Il y a, parfois, un esprit messianique chez des hommes et des femmes de la diaspora. Qui veulent se poser en sauveur du continent. Qui pensent qu'ils ont la mission de briser les chaînes. C’est dérangeant. Comme si les Africains, qui vivent et luttent chez eux, ne peuvent pas par leurs sueurs, leurs efforts et leurs sacrifices bâtir un continent vivable.

La parole de l'avenir

Des utopies, il en faut. C’est même urgent. Nous avons besoin d’être déroutés. Nous avons besoin de nouvelles combinaisons, de la pensée et de l’action. Et quoi d’autres encore ? Il faut des alternatives, et surtout beaucoup d’espoir. L’ancien monde pèse encore de tout son poids sur notre destin. Nos énormes potentialités sont carbonisées, par le statu quo. On pourrait même se risquer à dire que nos sociétés se figent, dans une sorte d’abandon tragique. Il faut des hommes et des femmes d’action. Pour fouler aux pieds les structures mentales et sociales, qui méprisent l’audace et la liberté. Les 2,5 milliards de personnes, qui vivront bientôt en Afrique, auront besoin, pour s’épanouir, d’un champ social et culturel favorable à l’innovation, à l’insouciance. À la créativité. Il n’y a aucun miracle : les sociétés instruites et créatives dominent le monde. Les peuples qui savent le mieux développer des idées du futur ont un avantage comparatif sur les autres. C’est ainsi, depuis toujours. Comment mettre l’intensité innovatrice dans les imaginaires ? En permettant le rêve, en libérant l’intelligence. En garantissant l’espoir.

Aujourd'hui, notre vérité est douloureuse. Nos esprits sont encastrés dans la misère. Les problèmes sociaux. Le retard économique et politique. Les pesanteurs sociales et les conservatismes. Cela joue beaucoup sur nos imaginaires. Et handicape notre compréhension réflexive. Nous avons besoin d’échappatoires. Ce qui suppose une exploration de nouvelles voies. Le bouillonnement technologique, à tous les niveaux. Des dynamiques créatives et utopiques. La grande leçon de l’Histoire est que le statu quo n’existe pas. Il n’y a pas d’avenir inévitable, que celui dont on a rêvé et que l’on a construit volontairement. Aussi, les trajectoires de l’histoire sont toujours provoquées par la fougue d’individus, parfois extravagants. Que donc, mille projets fleurissent ! Nous ferons le tri, plus tard. En fin de compte, nous pouvons, pour lui laisser le bénéfice du doute et de l'audace, situer la ville d’Akon dans la parole de l’avenir. En attendant d’y voir plus clair.

Retrouvez sur SenePlus, "Notes de terrain", la chronique de notre éditorialiste Paap Seen tous les dimanches.

psene@seneplus.com

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Mamadou Ibra Kane sur “Akon City” : “Gondwana ou Wakanda ?”

Par Ankou Sodjago - 04/09/2020

Entre le Gondwana et le Wakanda, il y a un choix à faire. Sans doute à assumer. Choisir entre les deux même si le Gondwana et le Wakanda ont un dénominateur commun : la fiction. Mais l’imaginaire a ça de particulier qu’il se rapproche souvent de la réalité. Tout est de savoir s’il s’agit juste de réaliser nos rêves ou plutôt de rêver nos réalités. Encore que les deux ne s’opposent pas. Pas forcément. La vie, en effet, est faite des deux. Le Gondwana est qualifié ironiquement de “République très, très démocratique” par l’humoriste nigérien Mamane, très connu des auditeurs d’une radio étrangère. Le Gondwana et les excès de son Président, plus dictateur que démocrate et qui impose ses lubies et hobbies à son peuple.

Le Wakanda, royaume fictif dans l’univers Marvel situé en Afrique, est rendu célèbre par le film à succès “Black Panther”. Hommage posthume à son acteur principal, Chadwick Boseman qui vient d’être terrassé par un cancer à seulement 43 ans. “Black Panther” et la belle musique de Baaba Maal. En passant.

Si nous évoquons le Wakanda, c’est parce que nous pensons à la future ville qui s’en inspire et qu’un autre célèbre musicien ambitionne d’implanter ou d’implémenter au Sénégal. Son nom : Akon City. Akon de son pseudonyme américain et d’artiste. Alioune Badara Thiam de son nom de baptême au Sénégal. “Akon City” ou “Wakanda City”, le chanteur sénégalo-américain de RnB assume la ressemblance. Le réalisme nous oblige à dire bienvenue à “La Porte de l’Afrique”, autre appellation de la ville futuriste qui sera érigée sur le site du village de Mbodiène en bordure de l’Atlantique.

Akon 47 ans, Boseman 43 ans, Black Panther (la Panthère Noire) ; Akon City, Wakanda City : toute ressemblance n’est que… pure réalité. Le Wakanda, ses immenses richesses naturelles et ses six millions d’habitants. Akon City et ses 6 milliards de dollars (3 324 milliards de francs CFA selon le cours actuel) représentant le financement du projet, sa crypto-monnaie Akoin, ses studios de cinéma, ses hôtels, ses hôpitaux, ses centres d’affaires et de loisir, son université… Akon City et ses futurs 300 mille habitants.

Qui cracherait sur une telle ville ? Osons le croire : personne. Ceux qui adorent Palm Jumeirah, l’île de rêve de Dubaï avec ses hôtels luxueux, ses restaurants haut de gamme, ses tours d’habitations qui donnent le tournis, ne bouderont pas le plaisir de visiter ou même de vivre à Akon City. Heureux qui comme les futurs Akonais !

Partons du postulat que la future ville intelligente – Smart City ne sera pas un mirage. Prions même pour qu’elle soit une réalité et mieux, plus belle que la maquette qui nous a été présentée. Toutefois des questions subsistent. Qui pourra habiter à Akon City ? Une ville pour riches ? Tant mieux si elle devrait attirer Les Bill Gates, Zuckerberg, Bieber, Rihanna, Kim Kardashian, Beckham, Ronaldo, Messi et tous les milliardaires de la planète, pressés de venir dépenser chez nous leurs colossales fortunes. Mais, la ville touristique qu’Akon City est appelée à être, sera-t-elle accessible à nous autres Sénégalais, notamment aux habitants de Mbodiene ? Le village d’agriculteurs du littoral ne sera-t-il pas chassé de ses terres pour laisser la place à des spéculateurs fonciers et de tous ordres ?

En apparence, le rappeur Akon a eu l’intelligence de discuter avec les villageois de la question foncière qui fâche. Le calme apparent des Mbodiénois, réputés comme tous les autres campagnards, très attachés à leurs terres héritées des ancêtres, est la preuve manifeste que le prince du Wakanda a dû bien négocier ses 500 à 800 hectares. Si cela se confirme, c’est un exemple d’une certaine “diplomatie industrielle” à promouvoir. Un bon arbitrage entre le “titre foncier agro-industriel” et le “titre foncier communautaire”.

Pourquoi Akon a pu obtenir l’assiette foncière que requiert son rêve là où d’autres, avec moins de surface, n’y sont pas parvenus ? Se nommant Alioune Badara Thiam, sa sénégalité quoique mâtinée dans son américanité, ne saurait souffrir d’aucun doute, encore moins contestée. Donc, la raison de son succès est à chercher ailleurs.

Akon City, une chimère ? Espérons que ce royaume du Wakanda aura plus de chance de se réaliser que “Akon Lightning Africa”, le premier grand projet du chanteur en compagnie de l’activiste politique sénégalais Thione Niang et de l’entrepreneur malien Samba Bathily. Une fouille dans les archives pour les mémoires oublieuses. Alors que son projet d’électrification de l’Afrique existe depuis 2015 – plus de 600 millions d’Africains étant sans électricité – Akon n’avait été reçu par le président Macky Sall qu’au bout de 4 années d’attente, le mercredi 3 avril 2019. Cette fois-ci il n’a pas attendu longtemps pour présenter, le mardi 1er septembre 2020, la maquette de sa ville futuriste au chef de l’État sénégalais.

Une année d’intervalle entre deux audiences au Palais pour vendre deux projets grandioses. Rêvons avec Akon ! Les pieds sur terre d’où sortira cette cité… Akonique. Sûrement pharaonique. Qui vivra verra.